Archive dans mars 2010

Lenteur et coût de la justice en France

Chronique mars 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, que soit à la radio, à la télévision ou dans les magazines, on ne cesse de nous affirmer que la justice française se révèle longue et chère pour le justiciable. Qu’en est-il exactement ?

Me BUFFLER : tout d’abord pour ce qui est de la lenteur de la justice française, on ne peut malheureusement que donner raison aux média : sauf urgence réelle et avérée, il faut environ 6 mois pour obtenir un jugement dans une procédure simple, et encore faut-il que le litige soit réellement d’une simplicité enfantine. Sinon, pour une procédure « classique », c’est environ 1,5 an, voire 2 ans, pour obtenir un jugement, quelle que soit la juridiction saisie (tribunal de grande instance tribunal administratif, conseil des prud’hommes, …).

Mme VIAL : comment cela se fait-il ? Est-ce que ce sont les avocats qui jouent la montre pour décupler leurs honoraires comme on l’entend parfois ?

Me BUFFLER : il y a beaucoup de clichés à propos des avocats, et celui-ci en fait partie. En réalité, beaucoup d’avocats travaillent au forfait, notamment en matière de divorce. Cela signifie que les honoraires de l’avocat sont fixés une bonne fois pour toute par avance avec le client. Ainsi, que la procédure dure 6 mois ou 2 ans, le prix est le même. L’avocat n’a véritablement aucun intérêt à faire durer une procédure, bien au contraire.

Non, en vérité, le blocage vient du manque de moyens. Quand on sait qu’en France aujourd’hui on à peu de choses près autant que magistrats qu’il y 100 ans alors que la population française a presque doublé et que le nombre d’affaires a explosé, il n’est guère étonnant que ceux-ci soient totalement débordés et que tout prenne du temps.

Il faudrait multiplier par 2 le nombre de magistrats en France pour que l’on dispose d’une justice efficace. Cependant, nos gouvernants n’ont aucune envie d’avoir une justice efficace. Par ailleurs tout cela a un coût, que personne ne souhaite exposer. Au final, depuis des années on enquille les réformes en faisant croire aux justiciables que cela pour but de rendre la justice française plus efficace alors qu’il ne s’agit en vérité que de gérer la pénurie d’hommes et de moyens.

Mme VIAL : qu’en est-il du coût de la justice en France ? Est-il vrai que le justiciable aux moyens financiers limités sera moins bien défendus que le puissant ?

Me BUFFLER : encore un cliché ! Premièrement, il faut savoir que la justice en France est totalement gratuite. Cela signifie qu’il n’est nullement nécessaire de rétribuer les tribunaux pour obtenir un jugement. Ce qui a un coût, c’est l’avocat et, éventuellement, l’expert.

Mais là encore, si le justiciable a des revenus inférieurs à 900 euros (voire plus s’il a des personnes à charge) il a droit à l’aide juridictionnelle totale, ce qui signifie que l’Etat prendra en charge la totalité des honoraires de l’avocat ainsi que les éventuels frais d’expertise.

Mme VIAL : certes, mais le justiciable ne sera-t-il pas moins bien défendu si son avocat est réglé sur la base de l’aide juridictionnelle ?

Me BUFFLER : encore et toujours des clichés. Il faut savoir qu’un avocat un tant soit peu consciencieux traite exactement de la même manière ses dossiers payants que ses dossiers à l’aide juridictionnelle. Contrairement à ce que croient beaucoup de Français, ils n’ont pas droit aux bras cassés du barreau parce qu’ils sont éligibles à l’aide juridictionnelle. Même les ténors du barreau acceptent l’aide juridictionnelle, du moins certains d’entre aux. La France n’est pas les Etats-Unis, et encore à ce sujet les séries TV américaines véhiculent elles-mêmes des clichés auxquels il conviendrait de tordre le cou.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

Le conseil constitutionnel

Chronique mars 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, 3 des 9 membres du conseil constitutionnel viennent d’être renouvelés ? Quel est le rôle exact du conseil constitutionnel ?

Me BUFFLER : le conseil constitutionnel est la juridiction de droit commun en matière de contentieux électoral mais, surtout, est chargé du contrôle des lois. Il faut savoir en effet que, quand bien même le Parlement est souverain et légifère au nom du peuple français, il n’est toutefois pas totalement libre d’adopter n’importe quel texte, n’importe quelle disposition.

Des textes de valeur supérieure s’impose à lui. Il s’agit bien évidemment de la Constitution, adoptée en 1958 pour ce qui est de la Ve république, mais pas seulement. Le Parlement, et donc les lois, doivent également respecter la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ou la Charte de l’environnement.

Si un texte de loi soumis au conseil constitutionnel est jugé par ce dernier inconstitutionnel alors ce texte ne pourra jamais entrer en vigueur.

Cela a été récemment le cas pour ce qui de l’instauration d’une « taxe carbone » sur les énergies polluantes. Le conseil constitutionnel a estimé que les exemptions au paiement de cette taxe étaient telles qu’il y avait rupture au principe d’égalité des citoyens devant la loi, principe édicté dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Mme VIAL : qui peut saisir le conseil constitutionnel ?

Me BUFFLER : au départ, seuls le Président de la République, le Premier Ministre, les Présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat pouvaient le saisir.

Depuis 1974 au minimum 60 sénateurs ou députés peuvent également le faire. Le plus souvent ce sont 60 sénateurs ou députés de l’opposition, mécontents du texte adopté par la majorité, qui le saisissent.

Cette saisine ne peut intervenir qu’après le vote de la loi contestée mais, surtout, elle doit impérativement se faire avant que le Président de la République ne la promulgue, c’est-à-dire avant qu’il ne signe le texte de loi. Après c’est trop tard, le conseil constitutionnel ne peut plus rien faire, quand bien même le texte serait manifestement contraire à la Constitution.

Mme VIAL : dans de nombreux pays, notamment aux États-Unis ou en Allemagne, le simple citoyen peut contester la constitutionnalité d’une loi. Ce recours est donc impossible en France ?

Me BUFFLER : c’est la grande nouveauté de l’année 2010 : depuis cette année à l’occasion d’un procès le justiciable a le pouvoir de soulever l’inconstitutionnalité de la loi qu’on lui oppose. Précédemment cela était strictement impossible.

En pratique, aujourd’hui, le justiciable qui estime que la loi qu’on lui oppose est inconstitutionnelle va demander au juge saisi de son affaire de transmettre ses doutes à la Cour de cassation ou au Conseil d’Etat (selon la matière) qui eux-mêmes, s’ils estiment les doutes du justiciable sérieux, vont transmettre ces doutes au Conseil constitutionnel qui rendra alors, et alors seulement, sa décision.

En d’autres termes, pas de recours direct auprès du Conseil constitutionnel.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

NB : pour la question prioritaire de constitutionnalité, vous pouvez consulter le site officiel trés clair et bien documenté du Conseil constitutionnel (notamment le tableau des dispositions déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel) à l’adresse : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/l…

Nos politiques et la profession d’avocat

Chronique mars 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, Dominique de Villepin, Jean François Cope, Julien Dray, Segolène Royal, Rachida Dati,… on a l’impression que la profession d’avocat est ouverte à tout vent. Pourtant il me semblait que pour devenir avocat il fallait réussir un examen d’aptitude relativement sélectif… Qu’en est-il ?

Me BUFFLER : vous avez parfaitement raison : la voie normale pour devenir avocat passe par un succès à l’examen d’entrée à l’une des 10 écoles de formation à la profession d’avocat qui existent en France. Pour 10 places ouvertes il y a environ 100 candidats, soit un taux d’échec de près de 90%.

Pour autant il y a d’autres manières d’accéder à la profession d’avocat, moins sélectives. Et je crois pouvoir dire sans me tromper que par le biais de ces voies parallèles, la professions d’avocat est certainement l’une des professions les plus ouvertes de France.

Mme VIAL : c’est-à-dire ?

Me BUFFLER : premièrement, toute personne détentrice d’un doctorat en droit peut devenir avocat sans avoir à passer l’examen d’entrée. Quand on sait le nombre de docteurs en droit produit par la France dont la plupart n’ont aucun espoir de pouvoir décrocher un poste d’enseignant à l’université, je vous laisse imaginer le nombre de ces docteurs en droit qui se décident finalement, bon gré mal gré, à rejoindre la profession d’avocat.

Surtout, il y a quantité de possibilités pour rejoindre la profession d’avocat « sur titre », c’est-à-dire en justifiant d’un diplôme ou d’un parcours professionnel qui vous ouvrirait naturellement les portes de la profession d’avocat.

Ainsi, si vous avez été juriste pendant au moins 8 ans dans le service juridique d’une entreprise ou d’un syndicat, vous pouvez demander à l’ordre des avocats le plus proche de valider votre intégration à la profession d’avocat.

Pour Rachida Dati, cela tient au fait qu’elle a été magistrate ; or tout magistrat peut demander à intégrer la profession d’avocat, la formation de juge n’étant il est vrai guère éloignée de celle d’avocat.

L’inverse par contre n’est pas vrai : en France n’importe quel avocat ne peut pas devenir juge. En effet, pour prétendre à intégrer la magistrature française, l’avocat doit passer au préalable entre les fourches caudines de plusieurs commissions qui jugeront si au final l’avocat est digne d’intégrer la magistrature. Quand on sait qu’en GB nul ne peut être juge s’il n’a été avocat auparavant, on peut juger de la stupidité du système français.

Mme VIAL : mais qu’en est-il de Jean François Cope, Julien Dray ou Segolène Royal ? Sauf erreur, ils n’ont jamais été juges ou juristes dans le service juridique d’une entreprise et pourtant ils sont ou ont été avocats.

Me BUFFLER : pour ces 3 députés, cela tient justement au fait qu’ils sont parlementaires. En effet, tout parlementaire qui a exercé sa fonction au moins 8 ans peut demander à devenir avocat.

Ne me demandez pas en quoi le fait d’être parlementaire pendant 8 ans fait de vous un bon avocat ; en tout cas les textes le permettent aussi aberrant que cela puisse paraître.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

Téléréalité et contrat de travail

Chronique mars 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, il y a peu la plus haute juridiction française a jugé que le fait de participer à une émission de télé-réalité comme « L’île de la tentation » s’assimile à un travail. Comment le fait de se dorer la pilule pendant 2 semaines et se faire draguer par de jeunes bellâtres sur des plages paradisiaques peut être assimilé à un travail ?

Me BUFFLER : en fait pour répondre à votre question il faut en revenir à la définition du contrat de travail.

La cour de cassation estime que pour qu’il y ait contrat de travail, il faut que 3 conditions soient réunies : un lien de subordination entre l’employeur présumé et le salarié, une prestation de travail et une rémunération. Si ces 3 conditions sont remplies il y contrat de travail avec une rémunération obligatoire à la clé, minimum le SMIC.

De ces 3 conditions, la condition la plus importante est l’existence d’un lien de subordination, c’est-à-dire que pour qu’il y ait salariat encore faut-il que le salarié soit soumis au pouvoir de direction de l’employeur qui lui donne des directives (horaires, tâches à accomplir, etc).

Dans le cas de « L’île de la tentation », les 3 conditions posaient problème.

Mme VIAL : en effet, en premier lieu, en quoi les candidats de « L’île de la tentation » effectuaient-ils une prestation de travail ?

Me BUFFLER : la réponse à cette question n’est pas évidente puisque selon les conseils des prud’hommes saisis par les ex-candidats la réponse a été différente.

Certains conseils des prud’hommes n’ont vu dans « L’île de la tentation » que de jeunes écervelés à qui TF1 payait 2 semaines de vacances pour aller s’exhiber sur des plages paradisiaques.

Par contre, pour d’autres CPH, les candidats avaient un vrai rôle de composition devant les caméras, les assimilant à des acteurs qui, comme tout travailleur, ont droit à une rémunération.

Mais le point le plus important était l’existence ou non d’un lien de subordination. Les candidats étaient-ils totalement libres de leurs mouvements ou étaient-ils soumis à des contraintes telles que cela puisse s’analyser à un lien de subordination.

Mme VIAL : et donc ?

Me BUFFLER : eh bien la cour de cassation s’est référée au règlement imposé aux participants lequel obligeait les candidats à prendre part aux différentes activités et réunions, à suivre les règles du programme définies par le producteur, à répéter certaines scènes, à respecter les heures de réveil et de sommeil , etc, toute infraction étant sanctionnée par le renvoi.

Au vu de l’ensemble de ces contraintes, la cour de cassation a estimé qu’il y avait bien lien de subordination.

Le règlement des participants a dès lors été requalifié en contrat de travail à durée déterminée avec versements de l’ensemble des salaires impayés à la clé, pour des sommes relativement importantes puisque les candidats salariés travaillaient nuits et jours.

Très honnêtement au vu des règles régissant le contrat de travail, on peut difficilement donner tort à la cour de cassation.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

L’appel (en matière pénale)

Chronique mars 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, à l’occasion du procès Clearstream, Nicolas SARKOZY a indiqué qu’il ne ferait pas appel de la décision de relaxe de D. de Villepin. Aussitôt, certains commentateurs se sont gaussés de cette déclaration en indiquant que de toute façon juridiquement Nicolas SARKOZY n’avait pas la possibilité de faire appel de cette relaxe. Est-ce vrai ?

Me BUFFLER : oui, c’est vrai. Pour comprendre il faut entrer dans les subtilités de la procédure pénale.

Lorsqu’une infraction est constatée par le Ministère Public ou rapportée par une victime, des poursuites sont engagées. Ces poursuites pénales sont appelées « action publique ». A l’issue de l’enquête ou de l’instruction, si les organes de poursuites estiment qu’il y a suffisamment d’éléments, la personne suspectée est renvoyée devant le tribunal ou la cour d’assises pour s’expliquer et être éventuellement condamnée.

La victime, que l’on appelle « partie civile », a la possibilité de suivre, voire de participer, à l’enquête et/ou l’instruction.

Devant le tribunal ou la cour d’assises, le Procureur de le République représente la société. Son rôle est de faire sanctionner par les juges tous les actes contraires à la bonne marche de la société. C’est lui qui propose la sanction, à charge pour les juges de le suivre ou non.

La partie civile, elle, par le biais de son avocat, va faire valoir devant le tribunal ou la cour d’assises son préjudice personnel (préjudice matériel, physique, psychologique, etc). La victime ne propose pas de peine ; elle chiffre son préjudice et demande aux juges de condamner la personne poursuivie à lui verser de l’argent en indemnisation de son préjudice.

Mme VIAL : et donc, si la décision rendue par le tribunal ou la cour d’assise ne satisfait pas l’une des parties, qui peut faire appel ?

Me BUFFLER : pour ce qui est de la personne mise en cause (prévenu ou accusé selon les juridictions), celle-ci a toujours la possibilité de faire appel tant sur l’action publique (la peine prononcée) que sur l’action civile (l’argent à verser à la victime).

Par contre, pour ce qui du Procureur de la République, celui-ci ne peut que faire appel de l’action publique s’il estime que la peine prononcée est trop légère. Pour ce qui est de la victime, celle-ci ne peut faire appel que de l’action civile.

Ainsi, dans le cas du procès Clearstream, Nicolas SARKOZY n’avait juridiquement absolument pas la possibilité de faire appel de la relaxe prononcée laquelle correspond à l’action publique. Il a par contre la possibilité de faire appel de l’action civile. Toutefois, comme il réclamait un euro symbolique de dommages et intérêts, cela n’avait pas grand sens.

Par provocation, j’ajouterais toutefois que dans la mesure où le Procureur de la République est sous la tutelle du Ministre de la Justice qui est elle-même sous la tutelle de Nicolas SARKOZY, ce dernier est bien la seule partie civile en France qui peut également faire appel de l’action publique.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.