L’affaire Roman Polanski
Chronique novembre 2009
Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg
Entretien entre Mme WEIBEL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat
Mme WEIBEL : Me BUFFLER, fin septembre l’actualité a été marquée par l’arrestation et
le placement en détention provisoire du cinéaste Roman Polanski en Suisse alors qu’il se
rendait à un festival de cinéma.
Beaucoup de choses ont été dites, souvent à tort et à travers. Un retour en arrière, avec l’éclairage d’un juriste, s’impose.
Premièrement, comment se fait-il qu’une personne peut être poursuivie, arrêtée et
détenue alors même que la victime a retiré sa plainte et ne reproche plus rien a son
agresseur ?
Me BUFFLER : En préambule, j’aimerais préciser que je ne maîtrise que le droit français.
Or, dans l’affaire Polanski, ce sont les droits américain et international qui sont en jeu.
Toutefois, les grands principes étant généralement les mêmes d’un droit à l’autre, nous
pouvons tenter de raisonner à partir du droit français.
Ainsi, en ce qui concerne les poursuites, il faut savoir que les organes de poursuites,
police ou procureur selon les pays, ne sont jamais liés par les plaintes déposées par les
victimes.
Ainsi, en France, si vous déposez plainte, c’est le Procureur qui va décider, au vu des
éléments dont il dispose, s’il y a lieu d’ouvrir une enquête ou pas.
S’il estime qu’il n’y a pas matière à enquête, il classe sans suite. A l’inverse, s’il estime
qu’il y a lieu a enquête, il renvoie le dossier aux policiers ou à un juge d’instruction selon la difficulté pour enquête.
Par la suite, si la victime retire sa plainte, cela est totalement indifférent. Une fois que la
machine judiciaire est lancée, c’est au procureur (et au juge d’instruction) de décider s’il
l’arrête ou la laisse tourner. La victime n’a quasiment aucun pouvoir.
Un procureur n’a d’ailleurs pas à attendre qu’une victime se manifeste pour enquêter. Il peut s’autosaisir dès qu’il a vent de la moindre infraction. Une simple dénonciation anonyme peut suffire.
Ainsi, dans le cas de Roman Polanski, il semble que le droit américain fonctionne comme
le droit français : le retrait de sa plainte par la victime ne met pas pour autant fin aux
poursuites.
Cela dit, 32 ans après les faits et sans plainte de la victime, il apparaît pour le moins
ridicule de poursuivre une procédure qui aurait due connaître son épilogue au moins 2
décennies plus tôt. Après l’heure ce n’est plus l’heure.
Mme WEIBEL : justement, à ce propos, n’y a-t-il pas une prescription des poursuites ?
Peut-t- on indéfiniment poursuivre des personnes, même 32 ans après les faits ?
Me BUFFLER : en droit français, les seules infractions qui sont imprescriptibles sont les
crimes contre l’humanité. C’est d’ailleurs sur le fondement de cette règle, au titre d’une
complicité de crime contre l’humanité, que Maurice Papon a pu être poursuivi et
condamné près de 60 ans après les faits.
Pour ce qui est des crimes, car le viol qui est reproche à Roman Polanski est bien un
crime, la prescription est de 10 ans.
Ainsi, en théorie, 10 ans après la commission d’un crime, il n’est plus possible de
poursuivre et condamner une personne.
Cela est toutefois très théorique car la prescription est de 10 ans à compter du dernier
acte d’instruction. Ainsi, pour rendre un crime quasiment imprescriptible, il suffit qu’un juge d’instruction fasse un acte (une demande de pièce, d’expertise, complément d’enquête, même le plus anodin) une fois tous les 10 ans pour rejeter à chaque fois la prescription de 10 ans supplémentaires. Sauf erreur, c’est d’ailleurs ce qui a permis d’éviter une
prescription totale des faits dans le cas d’Emile Louis au titre des disparues de l’Yonne au début des années 1980.
Sur ce point, le droit américain, et peut-être suisse, semble différent. En effet, il semble
que tous les crimes soient imprescriptibles. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la série
télévisée « Cold Case », dans laquelle on rouvre des enquêtes non résolues vieilles
parfois de plus de 50 ans, a un sens au Etats-unis et apparaît totalement aberrante en
France.
En tout cas, dans le cas de Roman Polanski, il semble bien que c’est cette
imprescriptibilité de son crime, propre au droit américain, qui permet de venir l’inquiéter 32 ans après les faits.
Mme WEIBEL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage