Commenter et motiver une décision de justice
Chronique janvier 2012
Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg
Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat
Mme VIAL : Me BUFFLER, le 15 décembre dernier J. CHIRAC, ancien Président de la République, a été condamné a deux ans de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris. Beaucoup d’hommes politiques ont refusé de donner leur sentiment au sujet de cette condamnation au motif qu’il serait d’usage de ne pas commenter les décisions de justice. Est-il vrai qu’il est interdit de commenter les décisions de justice en France ?
Me BUFFLER : pas du tout ! Il est parfaitement autorisé de commenter les décisions de justice en France. Aucun texte ne l’interdit. Cela est même nécessaire. La justice est rendues par les hommes et l’homme est faillible.
Les revues juridiques à destination des professionnels du droit ne font d’ailleurs que çà à longueur de pages : analyser, commenter, et si besoin critiquer, les décisions rendues par les juridictions françaises et européennes, et notamment celles de nos plus éminentes juridictions, Cour de Cassation et Conseil d’Etat.
Mme VIAL : mais alors d’où vient cette ritournelle relative à la prétendue impossibilité de commenter les décisions de justice ?
Me BUFFLER : d’une confusion. On peut parfaitement commenter une décision de justice ; par contre il ne faut pas, logiquement, tomber dans l’outrance.
L’infraction que sanctionne le Code pénal (article 434-25) sont les commentaires dont le but est de jeter publiquement le discrédit sur la décision rendue de manière à porter atteinte à l’autorité ou à l’indépendance de la justice. Ce texte est très restrictif et ne muselle en rien nos hommes politiques.
Les tribunaux ne s’y sont pas trompés puisque les cas de condamnation sont rares, et les tribunaux ne sanctionnent des comportements outranciers qu’après avoir rappelé qu’aucune décision de justice ne saurait échapper à une critique normale.
Un exemple de condamnation : un avocat avait accusé un jury de cour d’assises de s’être abandonné à des considérations d’ordre raciste dans son verdict.
Mme VIAL : en matière de décision de justice, il semblerait qu’à compter de 2012 les cours d’assises doivent dorénavant motiver leurs décisions. Qu’est ce que cela signifie ?
Me BUFFLER : eh bien, jusqu’à aujourd’hui, à la question « l’accusé est-il coupable des faits, graves, qui lui sont reprochés ? », le jury d’assises répondait simplement par oui ou par non. Pas un mot de plus. Ainsi, une personne se retrouvait condamnée à 10 ou 20 ans d’emprisonnement, voire à perpétuité, sans connaître les principales raisons qui ont convaincu la cour d’assises de sa culpabilité. Cela était pour le moins choquant. Tout justiciable a le droit de savoir comment ceux qui l’ont jugé ont pris leur décision.
Cette absence d’explications tenait au fait que les jurés d’assises se prononcent en fonction de leur « intime conviction », c’est-à-dire que la loi ne leur demande pas compte des moyens par lesquels ils se sont convaincus de la culpabilité de l’accusé, elle n’impose pas de règles ; elle leur prescrit uniquement de chercher dans la sincérité de leur conscience quelle impression ont fait sur leur raison les preuves rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense.
Mme VIAL : les jurés n’avaient donc pas de comptes à rendre, ils pouvaient juger comme ils le voulaient sans devoir se justifier.
Me BUFFLER : exactement, et l’on perçoit tout de suite le risque : uns condamnation à « l’humeur », au « feeling », même si les preuves sont insuffisantes.
Obliger les jurés d’assises à motiver leur décision au moins un minimum va les contraindre à clarifier leurs idées, à faire le tri dans les arguments des parties et à bâtir au moins dans ses grandes lignes un raisonnement logique expliquant la décision finale.
C’est tout de même le moins que l’on pouvait exiger d’une juridiction qui prononce les peines pénales les plus lourdes.
Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage.