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Commenter et motiver une décision de justice

Chronique janvier 2012

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, le 15 décembre dernier J. CHIRAC, ancien Président de la République, a été condamné a deux ans de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris. Beaucoup d’hommes politiques ont refusé de donner leur sentiment au sujet de cette condamnation au motif qu’il serait d’usage de ne pas commenter les décisions de justice. Est-il vrai qu’il est interdit de commenter les décisions de justice en France ?

Me BUFFLER : pas du tout ! Il est parfaitement autorisé de commenter les décisions de justice en France. Aucun texte ne l’interdit. Cela est même nécessaire. La justice est rendues par les hommes et l’homme est faillible.

Les revues juridiques à destination des professionnels du droit ne font d’ailleurs que çà à longueur de pages : analyser, commenter, et si besoin critiquer, les décisions rendues par les juridictions françaises et européennes, et notamment celles de nos plus éminentes juridictions, Cour de Cassation et Conseil d’Etat.

Mme VIAL : mais alors d’où vient cette ritournelle relative à la prétendue impossibilité de commenter les décisions de justice ?

Me BUFFLER : d’une confusion. On peut parfaitement commenter une décision de justice ; par contre il ne faut pas, logiquement, tomber dans l’outrance.

L’infraction que sanctionne le Code pénal (article 434-25) sont les commentaires dont le but est de jeter publiquement le discrédit sur la décision rendue de manière à porter atteinte à l’autorité ou à l’indépendance de la justice. Ce texte est très restrictif et ne muselle en rien nos hommes politiques.

Les tribunaux ne s’y sont pas trompés puisque les cas de condamnation sont rares, et les tribunaux ne sanctionnent des comportements outranciers qu’après avoir rappelé qu’aucune décision de justice ne saurait échapper à une critique normale.

Un exemple de condamnation : un avocat avait accusé un jury de cour d’assises de s’être abandonné à des considérations d’ordre raciste dans son verdict.

Mme VIAL : en matière de décision de justice, il semblerait qu’à compter de 2012 les cours d’assises doivent dorénavant motiver leurs décisions. Qu’est ce que cela signifie ?

Me BUFFLER : eh bien, jusqu’à aujourd’hui, à la question « l’accusé est-il coupable des faits, graves, qui lui sont reprochés ? », le jury d’assises répondait simplement par oui ou par non. Pas un mot de plus. Ainsi, une personne se retrouvait condamnée à 10 ou 20 ans d’emprisonnement, voire à perpétuité, sans connaître les principales raisons qui ont convaincu la cour d’assises de sa culpabilité. Cela était pour le moins choquant. Tout justiciable a le droit de savoir comment ceux qui l’ont jugé ont pris leur décision.

Cette absence d’explications tenait au fait que les jurés d’assises se prononcent en fonction de leur « intime conviction », c’est-à-dire que la loi ne leur demande pas compte des moyens par lesquels ils se sont convaincus de la culpabilité de l’accusé, elle n’impose pas de règles ; elle leur prescrit uniquement de chercher dans la sincérité de leur conscience quelle impression ont fait sur leur raison les preuves rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense.

Mme VIAL : les jurés n’avaient donc pas de comptes à rendre, ils pouvaient juger comme ils le voulaient sans devoir se justifier.

Me BUFFLER : exactement, et l’on perçoit tout de suite le risque : uns condamnation à « l’humeur », au « feeling », même si les preuves sont insuffisantes.

Obliger les jurés d’assises à motiver leur décision au moins un minimum va les contraindre à clarifier leurs idées, à faire le tri dans les arguments des parties et à bâtir au moins dans ses grandes lignes un raisonnement logique expliquant la décision finale.

C’est tout de même le moins que l’on pouvait exiger d’une juridiction qui prononce les peines pénales les plus lourdes.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage.

Le Diagnostic de Performance Energétique (DPE)

Le DPE évalue la quantité d’énergie consommée par un logement et lui attribue un classement (de A à G) en fonction de la quantité d’énergie et de gaz à effets de serre nécessaires à son chauffage.

Le DPE est réalisé par un diagnostiqueur, en tenant compte:

– soit des caractéristiques du logement (matériaux utilisés, caractéristiques thermiques, moyen de chauffage, production d’eau chaude, …),

– soit, s’il s’agit d’un bien immobilier très ancien, de locaux professionnels ou d’une copropriété avec chauffage collectif, des factures de consommation.

En imposant aux bailleurs et vendeurs d’un bien immobilier la remise d’un DPE à leurs locataires et acquéreurs, le législateur a poursuivi 3 objectifs :

– informer l’acquéreur et le futur locataire quant à la consommation énergétique du bien visé et leur permettre une comparaison aisée entre les différents logements sur le marché ;

– sensibiliser les occupants quant aux économies d’énergie ;

– favoriser la réalisation de travaux de rénovation énergétique.

La loi du 12 juillet 2010, dite « Grenelle de l’environnement » 2, a rendu obligatoire l’indication du classement de performance énergétique dans les annonces publiées dans la presse, sur internet ou dans les vitrines des agences immobilières.

En outre, ce DPE doit être obligatoirement remis au locataire à la signature du bail et à l’acquéreur à la signature du compromis de vente.

Question : quelles sont les conséquences pour le bailleur ou le vendeur si la consommation énergétique du bien vendu ou loué s’avère plus élevée que celle indiquée dans le DPE ?

L’article L 271-4 du Code de la Construction de de l’Habitation (CCH) est clair : « L’acquéreur ne peut se prévaloir à l’encontre du propriétaire des informations contenues dans le diagnostic de performance énergétique qui n’a qu’une valeur informative ». Ainsi, l’acquéreur (et le locataire selon l’article L 134-3-1 du CCH) ne peut se retourner contre son vendeur (ou bailleur).

Par contre la responsabilité du diagnostiqueur peut être recherchée par l’acquéreur (ou le locataire). Ainsi, dans un jugement du 7 avril 2011, le TGI de Paris a condamné le diagnostiqueur à verser 40 000 euros de dommages et intérêts à l’acquéreur au titre d’un bien classé C alors qu’il aurait dû être classé G.

Prudence donc pour les diagnostiqueurs.

Le problème est que souvent les propriétaires, pour pouvoir louer ou vendre leur bien plus facilement, ont tendance à mettre la pression sur leur diagnostiqueur afin d’obtenir une « bonne note » au titre du DPE. Aux diagnostiqueurs de résister.

En tout état de cause, les assurances responsabilité civile professionnelle ont entendu rappeler aux diagnostiqueurs que celles-ci ne garantissent jamais les fautes intentionnelles, ce qui signifie qu’en cas de DPE volontairement complaisant, l’assurance ne couvrira pas le sinsitre, et ce alors même que les sommes en jeu peuvent être importantes.

Les jurés populaires en correctionnelle

Chronique décembre 2011

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, la loi sur les jurés populaires en correctionnelle a été définitivement votée en juillet dernier. Elle entre en vigueur au 1er janvier 2012. Quelle est la nouveauté de ce texte en matière pénale ?

Me BUFFLER : tout d’abord, je tiens à préciser que c’est une nouveauté totalement aberrante  :

En premier lieu, il convient de rappeler qu’en France la présence d’un jury populaire a été peu à peu éradiquée de nos tribunaux depuis le Moyen-Age pour complètement disparaître aujourd’hui, sauf aux assises.

Cela tient au fait que depuis des siècles la droite s’est toujours échinée à réduire la place des jurés populaires dans les instances de jugement, les estimant pas assez sévères. Et voilà-t-il pas qu’aujourd’hui cette même droite veut subitement les réintroduire, en estimant cette fois-ci que ce seraient les juges qui seraient trop laxistes. On marche manifestement sur la tête.

En 2e lieu, si notre Président de la République a fait valider la présence de 2 jurés citoyens dans tout procès correctionnel, de l’autre côté son gouvernement a approuvé l’idée de supprimer tout jury populaire dans les Cours d’assises en première instance.

Ainsi, d’un côté on annonce à grand bruit que la présence de jurés serait souhaitable pour juger de simples délits, pour de l’autre s’en dispenser quand il s’agit de juger les crimes les plus graves.

Tout cela n’a ni queue, ni tête. Le gouvernement s’en est finalement rendu compte et a finalement décidé de maintenir les jurés en cour d’assises. Il en a toutefois réduit le nombre d’un tiers par souci d’économie.

Enfin, en 3e lieu, je m’interroge quant aux moyens de financer une telle réforme alors que les caisses du Ministère de la Justice sont déjà plus que vides.

Mme VIAL : en pratique, comment vont intervenir ces nouveaux jurés ?

Me BUFFLER : à compter de 2012, pour les atteintes aux personnes les plus graves (violences aggravées, agressions sexuelles, vols avec violences) 2 citoyens tirés aux sorts siégeront au côtés des 3 traditionnels magistrats du tribunal correctionnel, pour une semaine environ.

Quand on sait comment se passent les délibérés aux assises – pour lesquels tous les jurés que j’ai pu interroger m’ont tous confirmé que les débats étaient menés par les 3 magistrats professionnels, les 9 jurés citoyens intervenant peu – il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour deviner que les 2 jurés citoyens, sans aucune expérience juridique, seront de bien peu de poids face aux 3 juges professionnels.

En outre, si aux assises, domaine auparavant réservé aux jurés populaires, la procédure est orale, en correctionnel, il n’en est rien. Dès lors, quand et comment les jurés populaires vont-il pouvoir prendre connaissance des dossiers correctionnels, certains pouvant faire des centaines, voire des milliers de pages ? Ces jurés populaires ont toutes les chances de faire tapisserie.

Bref, tout çà pour çà.

Mme VIAL : cette présence des jurés populaires se limite-elle au seul tribunal correctionnel ?

Me BUFFLER : non, effectivement. Suite à l’assassinat de la jeune Laetitia à Pornic, le gouvernement a également entendu étendre la participation des jurés citoyens aux décision de libérations conditionnelles pour les peines égales ou supérieures à 5 ans.

Une fois de plus on imagine que les jurés citoyens seront plus stricts que les juges professionnels, ce qui n’est nullement acquis et pas forcément souhaitable puisqu’une sortie de prison préparée et anticipée, quoi qu’en pense la vox populi, est toujours moins source de récidive qu’une remise en liberté contrainte en fin de peine.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

Juger le Président de la République

Chronique janvier 2012

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, le 15 décembre dernier J. CHIRAC, ancien Président de la République, a été condamné a deux ans de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris au titre d’emplois de complaisance à la ville de Paris au début des années 1990. Pourquoi tant de temps, presque 20 ans entre les infractions et la condamnation ?

Me BUFFLER : ce retard à l’atterrissage (et à l’allumage au demeurant) est dû au statut de J. CHIRAC, Président de la République en exercice au moment des poursuites.

Le statut pénal du Président de la République en exercice est fixé aux articles 67 et 68 de la Constitution française. Dans leur version initiale, ces articles pouvaient prêter à confusion. Ainsi en 1999 le Conseil Constitutionnel en a donné une interprétation qui a été assez largement contredite par la Cour de Cassation 2 ans plus tard.

Au final en 2007 le Parlement a adoptée une nouvelle version des articles 67 et 68. Il est maintenant clairement indiqué que, durant son mandat, le Président de la République ne peut être requis de témoigner, ni faire l’objet de la moindre action. Il faut attendre la fin de ses fonctions pour lui intenter un procès, le convoquer et a fortiori le condamner.

Ainsi, tant que J. CHIRAC était en fonction, tout procès, toute instruction, était bloqué dans l’attente de la fin de son mandat.

Mme VIAL : le Président de la République ne peut donc être poursuivi, encore moins jugé, tant qu’il est en fonction ?

Me BUFFLER : tout à fait, sauf en cas de « manquement à ses devoirs incompatible avec l’exercice de son mandat ». En pareille hypothèse, une procédure de destitution assez proche dans l’esprit de la procédure d’impeachment américaine peut être lancée. Ainsi, à l’initiative de l’Assemblée Nationale ou du Sénat, et si une majorité des 2/3 de chaque assemblée la vote, une destitution du Président de la République est possible.

Afin de ne pas perturber le fonctionnement régulier des institutions publiques ainsi que la continuité de l’État, il est bien évident que cette procédure ne doit être appliquée que dans des cas gravissimes.

Mme VIAL : le Président de la République ne peut être poursuivi, ni jugé, quand il est en fonction. Mais peut-il intenter un procès ?

Me BUFFLER : eh bien, c’est toute la question. D’un côté, pendant son mandat, le Président de la République est inattaquable, mais de l’autre il peut intenter un procès à qui bon lui semble sans risquer le moindre retour de bâton si son action devait être jugée abusive ou mal-fondée. Il y a de toute évidence un déséquilibre difficilement acceptable.

La Cour de Cassation sera prochainement amenée à faire connaître sa position sur ce point dans le cadre de l’affaire des comptes piratés (en 2008 N. SARKOZY avait vu son compte bancaire privé piraté et débité par des escrocs).

Pour l’heure la constitution de partie civile de N. SARKOZY a été jugée recevable, étant précisé que le tribunal de première instance avait jugée qu’il fallait attendre la fin de son mandat pour statuer sur sa demande de dommages et intérêts, ce qui paraît une position judicieuse. On ne peut pas en effet renvoyer en fin de mandat les affaires pour lesquelles on est défendeur pour bénéficier par ailleurs de la célérité normale de la justice quand on est en demande.

Mme VIAL : enfin, sauf erreur, tout ancien Président de la République est membre de droit du Conseil Constitutionnel. Du fait de sa condamnation pénale, J. CHIRAC ne perd-il pas son droit de siéger au Conseil Constitutionnel ?

Me BUFFLER : non, pas du tout, et c’est bien tout le problème : hors empêchement physique ou incompatibilité, la Constitution française ne prévoit pas de cas de révocation des membres du Conseil Constitutionnel, encore moins pour les anciens Président de la République qui en sont membres à vie.

Dans l’absolu, en l’état des textes actuels, même condamné et détenu, rien n’empêcherait un ancien Président de la République de continuera à siéger au Conseil Constitutionnel.

Cela est bien évidemment difficilement acceptable, d’autant que le rôle du Conseil Constitutionnel s’est grandement développé depuis l’adoption de la QPC en 2010.

Il convient manifestement de revoir la législation sur ce point.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage.

Timbre de 35 euros : fin ?

A compter du lundi 16 janvier 2012 la contribution pour l’aide juridique doit obligatoirement être acquittée par les avocats par l’achat de timbres dématérialisés sur le site « www.timbre.justice.gouv.fr ».

Problème : si l’ensemble des TGi semble avoir receptionné le matériel (douchettes) permettant la lecture des timbres dématérialisés, ils ne seraient pas encore tous opérationnels au 16 janvier 2012.

L’usage des timbres papier devrait donc perdurer encore quelques jours (semaines ?).

Agent immobilier et vices cachés

Par un arrêt du 3 novembre 2011 la Cour de Cassation a entendu mettre à la charge de l’agent immobilier une responsabilité technique importante puisque celle-ci énonce qu’il « appartient à l’agent immobilier qui prétend vendre un bien immobilier restauré et pourvu d’une toiture neuve de s’assurer de l’absence d’éventuels défauts cachés affectant cette toiture ». La Cour d’Appel qui a affirmé « qu’il n’entrait pas dans la mission d’un agent immobilier de vérifier, au-delà de l’apparence visuelle, le descriptif des annonces qu’il fait publier pour chercher des acheteurs », alors même que les termes de l’annonce vantaient une toiture restaurée, a violé les dispositions de l’article 1382 du Code civil.

Un agent immobilier a ainsi l’obligation de vérifier avec diligence l’exactitude des affirmations portées sur ses annonces.

Le fichier national des empreintes génétiques

Chronique novembre 2011

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, le 29 octobre nous avons appris que le tribunal correctionnel d’Orléans avait relaxé un faucheur volontaire d’OGM qui était poursuivi pour avoir refusé un prélèvement d’ADN destiné au fichier national automatisé des empreintes génétiques.

Qu’est ce que ce « fichier national automatisé des empreintes génétiques » ?

Me BUFFLER : Le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) est le fichier commun à la police et à la gendarmerie qui stocke les traces ADN prélevées sur les délinquants, scènes de crimes et même simples mis en cause.

Il a été crée en 1998 suite à l’affaire Guy George où l’existence d’une banque nationale des empreintes ADN aurait pu à l’époque faciliter l’arrestation du tueur en série.

Son but était de ficher le profil ADN de toutes les personnes impliquées dans des infractions à caractères sexuelles, notamment les pédophiles.

Mme VIAL : pourtant, dans le cadre du procès de ce faucheur volontaire d’OGM d’Orléans on en est loin, non ?

Me BUFFLER : tout à fait, et c’est bien tout le souci de ce fichier. Au départ limités aux crimes sexuels, depuis 1998 il n’a cessé de voir son champ étendu de telle sorte qu’il couvre aujourd’hui près des ¾ des affaires pénales traitées.

Son extension la plus grave a eu lieu dans le cadre de la Loi SARKOZY de 2003 où ce fichier a été non seulement étendu à tous types de délits mais surtout aux simples suspects.

L’extension du fichage est telle que de 2000 personnes fichées en 2002 on est passé à 1 millions 200 000 personnes fin 2009 dont plus de 900 000 correspondent à des personnes simplement suspectées. C’est totalement délirant ; cela représentent 2% de la population française fichée génétiquement. George ORWELL n’est pas loin.

Et ce fichage se fait sans un bruit, petit pas par petit pas, les politiques s’étant bien gardés de lancer un débat national sur le bien fondé de ce fichage rampant de l’ensemble de la population française.

Mme VIAL : ce fichage n’est toutefois que provisoire, non ?

Me BUFFLER : pas vraiment.

Pour ce qui est des simples suspects finalement mis hors de cause, leur empreinte génétique peut être conservée pendant 25 ans. Elles peuvent toutefois demander à être effacée du fichier mais pour cela elles doivent en faire la demande officielle auprès du procureur de la République qui a la possibilité de refuser.

On en arrive ainsi à un système où des personnes à qui l’ont a finalement strictement rien à reprocher restent néanmoins fichées pendant 25 ans sauf à faire une demande officielle de désinscription qui dans l’absolu n’est pas forcément sûre d’aboutir. Je ne vois pas comment cela peut être conforme aux droits et libertés fondamentaux et surtout je ne vois pas comment nos parlementaires ont pu voter une telle horreur juridique.

Pour ce qui est des personnes condamnées, leur empreinte génétique reste enregistrée pendant 40 ans à compter du jour où leur condamnation est devenue définitive. Avec un appel ou un pourvoi en cassation, cela signifie qu’une empreinte peut être conservée près de 50 ans, un fichage à vie qui ne dit pas son nom.

Mme VIAL : n’y a-t-il pas moyen de refuser de se soumettre à un tel prélèvement ?

Me BUFFLER : juridiquement, non. Le refus de se soumettre à un prélèvement génétique pour les personnes mises en cause constitue un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, voire deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende si l’auteur est finalement condamné pour crime.

Toutefois, la relaxe de ce faucheur volontaire à Orléans fait naître l’espoir d’une prise de conscience, notamment au sein de la magistrature, que nous sommes en train d’aller trop loin dans le fichage et le contrôle des individus.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

Le livre foncier en libre service, sauf pour les avocats !

Le décret n° 2009-1193 du 7 octobre 2009 relatif au livre foncier (propre aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle) fixe les modalités de son informatisation et de sa consultation, notamment par les professionnels.

Ainsi son article 7 indique que « dans le ressort d’un bureau foncier, les notaires, les géomètres-experts, les huissiers de justice, les avocats (…) peuvent consulter le livre foncier et le registre des dépôts du chef d’une ou plusieurs personnes individuellement désignées pour savoir si des données concernant celles-ci sont enregistrées. (…). »

Toutefois, sa consultation simple et efficace par internet est limitée aux seuls notaires, géomètres-experts, huissiers de justice, Etat et collectivités territoriales (article 8).

Pourquoi les avocats ont-ils été exclus de cette consulation par internet ?

En tout état de cause, l’Ordre des Avocats de Strasbourg a saisi le Conseil d’Etat afin de faire annuler le décret du 7 octobre 2009 pour rupture d’égalité.

Et que croyez-vous qu’il est advenu ? Eh bien, par décision du 9 décembre 2011 le Conseil d’Etat a jugé que « l’article 8 du décret attaqué n’institue pas une différence de traitement manifestement disproportionnée entre les avocats et les autres professions concernées, les dispositions litigieuses n’ayant en tout état de cause pas pour effet de priver les avocats du droit de consulter les données du livre foncier par d’autres modes de consultation. »

En d’autres termes l’informatisation du livre foncier a bien été menée, sa consulation en est grandement facilitée et il est parfaitement normal que cette avancée technologique soit reservée aux seuls notaires, géomètres-experts ou huissiers de justice. Les avocats continueront à faire comme par le passé : une lettre, un timbre et plusieurs jours d’attente (si ce ne sont pas des semaines).

Il est vrai qu’il aurait été trop simple que toutes les professions du droit puissent bénéficier du même outil.

Le nouveau régime de la garde à vue conforme (pour l’essentiel) à la Constitution mais pas forcément à la CEDH

1. Par sa Décision n° 2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 novembre 2011, le Conseil Constitutionnel a déclaré le nouveau régime de la garde à vue en matière d’enquête préliminaire (art. 62 à 63-4-5 CPP) conforme à la Constitution, avec cependant une réserve quant à la pratique de l’ « audition libre » lors de laquelle la personne suspectée doit se voir informée de la nature et de la date des faits reprochés et de son droit de quitter à tout moment les locaux des enquêteurs (considérant n° 20).

Décision à lire sur http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/l…

2. Cependant, la Cour d’appel d’Agen a prononcé selon arrêt du 24 octobre 2011 et au visa de l’article 6§3 de la CEDH une nullité de garde à vue au motif que l’avocat n’avait pas eu accès au dossier.

Vous trouverez le facsimilé de cet arrêt sur le lien suivant: http://www.cabinet-ferly.com/documents/doc_493.pdf

Rien n’est donc joué.

Communiqué FNUJA du 20/11/2011

La gestation pour autrui

Chronique octobre 2011

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, en juillet dernier le Parlement a adopté la nouvelle loi sur la bioéthique. Dons d’organes, recherches sur l’embryon, procréation médicalement assistée…, la nouvelle loi de bioéthique ne bouleverse pas la donne ; aucune grande nouveauté au menu. Les revendications concernant notamment le recours aux mères porteuses ne sont pas satisfaites.

Me BUFFLER : effectivement, la gestation pour autrui n’est toujours pas autorisée en France. A tort ou à raison, les parlementaires ont estimé que le risque d’une marchandisation du corps humain était trop importante, l’interdiction de tout recours à une mère porteuse devant dès lors être maintenue.

Mme VIAL : cela n’est toutefois pas sans poser des difficultés, non ? notamment pour les enfants de parents français nés de mères porteuse américaines.

Me BUFFLER : tout à fait. Le problème s’est notamment posé pour un couple de français dont les 2 filles jumelles sont nées au Etats-Unis de mère porteuse.

Au mois d’avril dernier la Cour de Cassation a jugé qu’il était « contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui ».

En français de tous les jours cela veut dire que pour la Cour de Cassation le simple fait d’avoir eu recours à une mère porteuse empêche toute reconnaissance juridique des enfants, même si le recours à une mère porteuse était licite dans l’Etat où la gestation a eu lieu (ce qui est le cas aux Etats-Unis).

Mme VIAL : quelles sont les conséquences pour les enfants ? pour les parents ?

Me BUFFLER : les conséquences sont dramatiques : à l’état civil français ces enfants n’existent pas, leur lien de filiation avec leurs parents n’est pas reconnu, au mépris de l’état civil américain où sont nés ces enfants.

Cela signifie notamment que ces enfants ne peuvent avoir de carte d’identité française, ne peuvent hériter de leurs parents selon le droit français,… A l’égard des autorités françaises, ce sont des étrangers installés en France, sans parents.

Cette décision n’est bien évidemment pas satisfaisante. L’intérêt supérieur de ces enfants était de voir reconnaitre leur lien de filiation par les autorités françaises.

Moralement on peut estimer que la gestation pour autrui n’est pas une pratique acceptable en France, comme par exemple la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels, sans pour autant sanctionner les enfants nés par ces biais. Le prix juridique à payer pour ces enfants, au titre de pratiques dont ils ne sont nullement responsables, est beaucoup trop lourd.

L’avocat général de la Cour de Cassation avait d’ailleurs préconisé la reconnaissance de ces enfants par l’état civil français.

Mme VIAL : y a -t-il une solution ?

Me BUFFLER : oui, il faut saisir la cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui se trouve à Strasbourg. L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme affirme notamment le droit au respect de la vie familiale. Il y a à mon sens des chances sérieuses que la CEDH sanctionne la position des juridictions françaises. Réponse dans 2 ans.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.