Le dépaysement

Le dépaysement

Chronique octobre 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, il y a quelques jours nous apprenions que le dossier WOERTH- BETTENCOURT aux mains des juges de NANTERRE allait être dépaysé. Que signifie ce « dépaysement » ?

Me BUFFLER : pour comprendre ce qu’est le « dépaysement » d’un dossier, il faut d’abord expliquer comment un dossier est attribué à tel ou tel tribunal.

Pour faire simple, quand un justiciable veut saisir la justice, la première question qui se pose est de savoir devant quel tribunal son action doit être introduite ; quel est le tribunal compétent aussi bien géographiquement que compte tenu de l’objet du litige ?

En matière civile, le tribunal compétent géographiquement est généralement celui du domicile de la personne poursuivie. En matière pénal, c’est généralement celui du lieu de l’infraction. Il y a bien évidemment des exceptions.

Pour ce qui est de l’objet du litige, la plupart des tribunaux sont spécialisés dans un type de contentieux. Ainsi, au conseil des prud’hommes les litiges relatifs au droit du travail ; au tribunal administratif les affaires impliquant une administration.

Dans le cadre de l’affaire WOERTH- BETTENCOURT, il s’agit d’une (ou des) infraction(s) pénales ayant eu lieu à Neuilly-sur-Seine, cette ville dépendant du tribunal de NANTERRE.

Au vu des règles de compétences territoriale et matérielle énoncées précédemment, il est donc tout à fait logique que ce soit le tribunal correctionnel de NANTERRE qui soit saisi de l’affaire.

Mme VIAL : mais dès lors pourquoi un « dépaysement » ?

Me BUFFLER : eh bien, dans certains cas, les codes de procédure civile et pénale admettent qu’il est parfois nécessaire de déroger aux règles normales de compétences territoriale et matérielle ; il est parfois indispensable de confier un litige à une juridiction autre que celle normalement compétente.

En matière pénale par exemple, en cas de suspicion légitime envers un juge, la cour de cassation a le pouvoir de retirer l’affaire au tribunal concerné. Par exemple si un juge d’instruction en charge d’un dossier a fait savoir publiquement son hostilité au mis en examen dont il doit instruire l’affaire, la cour de cassation peut confier le dossier à un autre juge.

En matière civile, l’article 47 du CPC précise que lorsqu’un juge ou un avocat est poursuivi devant le tribunal où il exerce habituellement son métier, la partie adverse peut demander que ce soit un autre tribunal qui tranche le litige, ce qui se comprend aisément.

Mme VIAL : qu’en est-il dans le cas de l’affaire WOERTH- BETTENCOURT ?

Me BUFFLER : cette affaire présente 2 volets.

Le premier concerne l’abus de faiblesse confié au tribunal correctionnel de NANTERRE. Dans ce cas le Procureur Général de VERSAILLES a effectivement la possibilité de demander le dépaysement du dossier sur la base d’une suspicion légitime envers un des juges composant le tribunal correctionnel. C’est la cour de cassation qui devra juger si cette suspicion est effectivement légitime et si un dépaysement s’impose.

Pour ce qui est du 2e volet, il s’agit des enquêtes menées par le Procureur de la République de NANTERRE. Dans ce cas le Procureur Général de VERSAILLES n’a absolument aucun moyen juridique de retirer le dossier au Procureur de NANTERRE.

Mme VIAL : ainsi, seul le 1er volet peut être concerné par un dépaysement …

Me BUFFLER : exactement. Le Procureur Général de VERSAILLES veut faire croire que dans un souci d’apaisement il souhaite que toute l’affaire l’affaire WOERTH- BETTENCOURT soit retirée aux juges de NANTERRE alors que dans les faits seule la partie du dossier entre les mains d’un juge indépendant pourra effectivement l’être. Le Procureur de NANTERRE, proche de N. SARKOZY si l’on en croit la presse, et sous le pouvoir hiérarchique du Garde des Sceaux, pourra quant à lui continuer à faire comme avant.

Comme l’a déclaré le président de l’Union syndicale des magistrats, cela ressemble effectivement à une « opération de manipulation » de la part du Procureur Général de VERSAILLES.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

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