Réforme de la Justice et audiences sans la présence des parties : top départ ?
Mme Dominique Kimmerlin, présidente de la COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE (CNDA), vient d’écrire au bâtonnier de Strasbourg afin de mettre en oeuvre la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, laquelle prévoit la possibilité de vidéo-audiences afin d’examiner les recours des demandeurs d’asile résidant dans les départements du ressort du tribunal administratif de NANCY (soit Nancy, Strasbourg, Metz, Reims, …).
Par une motion en date du 20 décembre 2018, prise à l’unanimité, le barreau de Strasbourg a indiqué s’opposer catégoriquement à la mise en place de ces « vidéo-audiences » à compter du 1er janvier 2019. Le barreau de Strasbourg s’est en outre refusé à communiquer une liste d’avocats aptes à intervenir devant cette juridiction.
En effet, cette mesure – prise par souci d’économies (plus besoin d’escortes, ni d’engager de frais de transport) – met à mal les droits fondamentaux de tout justiciable (comme rencontrer réellement un juge).
La matière du droit d’asile est d’une grande complexité tant sur le plan juridique que sur le plan humain, et l’intime conviction du juge est l’essence même du droit d’asile. Ces audiences hors la présence physique du justiciable risque de changer totalement l’appréhension du juge dans ces dossiers.
Motion du Conseil de l’Ordre du Barreau de Strasbourg du 20/12/2018 :
Mme la Présidente de la CNDA a informé le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Barreau de STRASBOURG qu’à titre expérimental, à compter du 1er janvier 2019 la CNDA va mettre en place, avec le concours de la Cour Administrative d’Appel de NANCY, des vidéo-audiences au siège de cette Cour pour les demandeurs d’asile résidant dans les départements du ressort.
La CNDA a également sollicité la transmission par les Barreaux d’une liste d’avocats intervenants devant cette juridiction.
Le Conseil de l’Ordre tient à exprimer sa ferme opposition au moyen de vidéo-audiences pour examiner les recours des demandeurs d’asile, sans préalable consentement de leur part .
Le Conseil de l’Ordre considère que l’utilisation de la vidéo-audience, particulièrement en matière d’asile, est incompatible avec le plein exercice des droits de la défense et le droit au procès équitable, ce d’autant que le demandeur d’asile ne bénéficie que d’un seul degré de juridiction.
Le Conseil de l’Ordre s’étonne que la Présidente de la CNDA ne s’inquiète guère de la qualité de la défense quand elle demande une liste d’avocats intervenants alors qu’eu égard aux délais ils ne pourront bénéficier d’une formation adéquate dans un temps aussi bref.
Il s’étonne aussi de voir qu’elle ne semble pas davantage soucieuse du respect de la publicité des débats que la configuration des locaux de la Cour administrative d’appel de Nancy ne garantit pas.
Ainsi, le Conseil de l’Ordre du Barreau de STRASBOURG :
-Regrette que la voie des audiences foraines n’ait pas été exploitée comme alternative et qu’on leur ait préféré la vidéo-audience ;
– S’indigne de la volonté de généraliser en la matière les vidéo-audiences participant à la déshumanisation de la justice, à l’éloignement du justiciable et du juge, dans une matière particulière du ressort de l’intime conviction du juge, que seule une audience physique permet de faire émerger ;
– S’inquiète de la mise en place de cette expérimentation sans aucune concertation préalable ;
– Déplore qu’aucun choix n’ait été proposé ni même débattu aux intervenants entre les vidéo-audiences et des audiences foraines, pourtant prévues par les textes ;
– Constate qu’en l’état, la configuration des locaux de la Cour Administrative d’Appel de NANCY ne permet pas le respect de l’exigence de la publicité des débats.
En conséquence, le Conseil de l’Ordre du Barreau de STRASBOURG :
– S’oppose à l’entrée en vigueur de l’expérimentation de la vidéo-audience pour l’examen des recours en matière d’asile au 1er janvier 2019 ;
– Exige la plus vaste concertation entre les instances organisatrices et les différents ordres concernés, représentés par leur Bâtonnier ou leur délégataire ;
– Fait défense à Monsieur le Bâtonnier de transmettre une quelconque liste d’avocats en l’état ;
– Exige que le droit pour le demandeur d’asile de comparaître physiquement devant la CNDA soit maintenu, et à ce titre que le recours aux audiences foraines soit le principe et les vidéo-audiences l’ exception ;
– Rejette et condamne la vision purement budgétaire de la mesure au détriment des droits de la défense et des justiciables ;
– Invite Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats à porter la présente motion à la connaissance du CNB, de l’ensemble des Barreaux concernés par l’expérimentation, au Président de la République, à la Ministre de fa Justice et à la Présidente de la Cour Nationale du Droit d’Asile.
Adopté à l’unanimité le 20 décembre 2018
Christophe DARBOIS
Bâtonnier de l’Ordre.