Les troubles du voisinage
Chronique octobre 2011
Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg
Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat
Mme VIAL : Me BUFFLER, en juin dernier le Bundesrat allemand s’est senti obligé d’adopter une loi afin d’interdire aux riverains d’un jardin d’enfants ou d’une école de se plaindre du bruit provoqué par les jeux d’enfants. Comment a-t-on pu en arriver là ?
Me BUFFLER : en premier lieu, il faut reconnaître que des cris d’enfants peuvent être au mois aussi incommandants, voire plus, que des passages d’avions ou des bruits de marteaux-piqueurs.
Pour ce qui est de la loi elle-même, celle-ci provient du fait que plusieurs riverains de terrains de jeux ont saisi la justice en Allemagne et ont obtenu, soit la fermeture des aires de jeu dénoncées, soit la construction de murs de plusieurs mètres de haut.
Face à ces procès en cascade, et afin de rendre plus difficile le dépôt de plaintes contre le bruit des enfants, le texte de loi allemand stipule que les bruits venant de crèches, de bacs à sable ou de terrains de jeu ne doivent pas être considérés comme des dommages environnementaux comme peuvent l’être les bruits occasionnés par des installations industrielles.
Mme VIAL : est-ce que de tels procès pourraient aboutir en France ?
Me BUFFLER : dans l’absolu, oui. En droit français, les nuisances sonores causés aux riverains tombent sous le coup de la jurisprudence relative aux troubles anormaux du voisinage.
C’est en effet les tribunaux, et non le code civil, qui ont échafaudé une théorie relative aux troubles du voisinage.
Les tribunaux ont ainsi jugé que si le droit de propriété génère des droits, il impose également des devoirs, notamment celui de ne pas causer des troubles à autrui qui dépasseraient la mesure des obligations ordinaires du voisinage.
Ainsi, si vous disposez d’un arbre, installé à distance règlementaire par rapport à la propriété de votre voisin, ce dernier ne pourra pas se plaindre du fait que vos feuilles tombent dans sa piscine, cela fait partie des troubles normaux du voisinage.
Par contre, si votre chien aboie nuit et jour sans interruption, votre voisin pourra solliciter que vous soyez condamné sous astreinte de x euros par jour de retard à mettre fin à son calvaire, à charge pour vous d’éduquer votre chien ou de vous en séparer.
Mme VIAL : cela rejoint-il les procès dont la presse se fait souvent l’écho concernant le chant du coq ou le clocher du village ?
Me BUFFLER : exactement. Avec l’urbanisation croissante des campagnes, il n’est pas rare qu’un urbain fraichement installé à la campagne se plaigne du chant du coq à 5h du matin ou de l’Angelus à 6h. Excédé, il n’hésite pas à saisir le tribunal le plus proche, qui lui même n’hésite que très rarement à le débouter de son action, estimant que ces désagréments matutinaux sont des inconvénients incontournables de la vie à la campagne.
Ces cas ne doivent bien évidemment pas être confondus avec celui de l’urbain qui, en mal de campagne, en vient à établir un coq en ville. La présence d’un coq à la ville n’étant pas habituelle, le riverain mécontent à toute les chances d’obtenir que vous lui coupiez le cou, à tout le moins le sifflet.
Mme VIAL : et donc, pour ce qui est d’un jardin d’enfants, celui pourrait-il être contraint de fermer au titre du bruit qu’il occasionne ?
Me BUFFLER : dans la mesure où un jardin d’enfants est généralement créé dans l’intérêt de tous, les nuisances sonores qu’il génère si elles peuvent être aiguës étant finalement limitées à des heures bien précises toujours en journée et hors weekends, cela me paraît assez peu probable.
Cela dit, pour ce qui est des aires de jeu occupées jusqu’au petit matin par des adolescents imbibés et criards, une demande de fermeture a toutes les chances d’aboutir.
Toutefois, s’agissant d’espaces publics, ce sont les règles propres au droit administratif qui s’applique et non celles du droit privé.
Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.