L’arbitrage
Chronique novembre 2010
Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg
Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat
Mme VIAL : Me BUFFLER, début septembre nous apprenions que l’Etat français était condamné à verser 285 millions d’euros à Bernard TAPIE, soit environ 200 millions après impôt. Toutefois ce n’est pas un tribunal classique qui a prononcé cette condamnation mais après une procédure d’arbitrage.
Qu’est ce que l’abitrage ?
Me BUFFLER : eh bien, il faut savoir que lorsque vous êtes en conflit avec une personne ou une entreprise, vous n’avez pas le droit de vous faire justice vous-même en organisant une descente chez votre adversaire pour obtenir gain de cause.
Vous n’avez que 2 solutions : soit vous faites appel à la justice de votre pays, ou de l’État où se trouve votre adversaire, soit vous faites appel à l’arbitrage.
Dans le premier cas, vous devez passer par un tribunal. Les tribunaux sont censés être impartiaux et appliquer le droit de la même manière pour tout le monde, ce qui est généralement le cas dans nos démocraties occidentales (quoique).
Toutefois, dans de nombreux États la justice est encore balbutiante et les juges corruptibles, voire corrompus.
Si vous avez un litige à l’étranger et que vous vous défiez du système judiciaire du pays étranger, il faut donc abandonner l’idée de faire trancher votre litige par les tribunaux de cet état.
Mme VIAL : d’où la 2e solution, l’arbitrage…
Me BUFFLER : exactement. L’arbitrage permet de se passer des juges d’un pays. En gros, plutôt que de faire appel aux tribunaux d’un pays, les parties en conflit vont se mettre d’accord pour nommer elles-mêmes leurs propres juges, appelés arbitres, qui trancheront le litige en-dehors de tout tribunal étatique.
Généralement il y a 3 arbitres, chaque partie en nommant 1, les 2 arbitres désignés se mettant d’accord sur le nom d’un 3e.
Les arbitres choisis sont le plus souvent des professeurs de droit, des avocats, des juristes, …, en tout cas des professionnels du droit, mais pas seulement, reconnus pour leur compétence.
C’est exactement ce qui s’est passé dans le cas de Bernard TAPIE : 3 arbitres ont été nommés dont un professeur de droit renommé, ancien président du conseil constitutionnel.
Par souci de simplification il existe une multitude de chambres d’arbitrage (dans toutes la grandes villes du monde) qui offrent des tribunaux arbitraux clé en main, c’est-à-dire que les parties n’ont pas à se casser la tête à trouver des locaux et 3 arbitres, tout est déjà fourni.
Évidemment, tout cela a un coût. L’arbitrage, c’est une justice privée souvent onéreuse.
Mme VIAL : à vous écouter, cette justice semble réservée aux seuls pays en voie de développement au système judiciaire fragile. N’y en a-t-il pas dans les pays occidentaux ?
Me BUFFLER : si, bien sûr, et c’est même là que se trouve le plus grand nombre de chambres d’arbitrage. A Strasbourg par exemple, vous avez la Cour Européenne d’Arbitrage ou la chambre arbitrale de la bourse de commerce.
Le recours à l’arbitrage ne se fait toutefois pas pour les mêmes raisons que dans les pays émergents. Ce n’est pas tant des juges que l’on se défie (quoique) que de la lenteur des tribunaux et/ou de la méconnaissance des juges des matières abordées (domaines très techniques, usages commerciaux particuliers, etc). L’arbitrage est dès lors l’assurance pour les parties en conflit d’une justice plus rapide et/ou plus qualifiée. En matière de brevet par exemple, il peut être intéressant de faire appel à des arbitres qui ont une formation d’ingénieur conseil plutôt qu’à des juges juristes pur jus.
Mme VIAL : dans le cas de B. TAPIE, pourquoi avoir eu recours à l’arbitrage, surtout de la part de l’État français ? L’Etat se défiait-il de ses propres juges ?
Me BUFFLER : c’est le grand mystère. Quel mouche a pu piquer l’État français pour faire appel à l’arbitrage, surtout que le résultat lui a été catastrophique ?
Les arbitres ont donné une réponse : le recours à l’arbitrage était (je cite) la seule voie permettant de traiter en même temps toutes les instances en cours et ce définitivement puisque les parties ont expressément renoncé à l’appel.
Beaucoup y ont surtout vu l’immixtion du politique. F. BAYROU, pour ne pas le nommer, a estimé par exemple que la procédure arbitrale avait en vérité été imposée par crainte de décisions de justice impartiales défavorables à M. Tapie.
Ce qui est certain en tout cas c’est que là où une victime de viol reçoit au mieux 15 000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral, M. TAPIE s’est vu octroyer par les arbitres 45 millions d’euros. Si toutes les personnes roulées par leurs banques pouvaient toucher un tel pactole…!
Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.
La sentence arbitrale concernant B. Tapie est consultable à l’adresse : http://fr.calameo.com/read/000000009c8e3b3477360