Le conflit d’intérêts

Le conflit d’intérêts

Chronique août 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, suite à l’affaire WOERTH – BETTENCOURT, les politiques et les medias ne cessent de nous affirmer qu’il y a « conflit d’intérêts ». Juridiquement, qu’est ce qu’un « conflit d’intérêts » ?

Me BUFFLER : le conflit d’intérêts est visé par les tous premiers articles du règlement national de la profession d’avocat, c’est vous dire si les avocats savent ce qu’est le conflit d’intérêts. Surtout, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a developpé une jurisprudence à ce sujet.

Par principe les conflits d’intérêts sont interdits.

Dans le cas des avocats, sa déontologie lui impose de refuser d’être le conseil de plus d’un client dans une même affaire s’il y a conflit entre les intérêts de ses clients ou simplement s’il existe un risque d’un tel conflit. Plus généralement l’avocat doit s’abstenir de s’occuper d’une affaire lorsque son indépendance risque de ne plus être entière.

Si l’on transpose cette approche du conflit d’intérêts à notre Ministre du Travail, cela signifie qu’en tant que ministre il doit s’abstenir de traiter d’affaires pour lesquelles son indépendance risquerait de ne plus être entière.

Mme VIAL : et donc ?

Me BUFFLER : eh bien, en tant que ministre du budget chargé de la politique fiscale de la France, on voit mal comment son indépendance ne risquait pas d’être mise à mal. En effet, alors même qu’en tant que Ministre du budget M. WOERTH était chargé de faire entrer les sous dans les caisses de l’Etat, sa femme était employée par la 3e fortune de France pour, si l’on en croit Le Temps de Genève, se rendre régulièrement en Suisse pour de toute évidence faire autre chose que du tourisme.

Il y a de toute évidence un malaise qui ne ferait que s’amplifier s’il devait y avoir des discussions sur l’oreiller à propos de leurs dossiers respectifs.

Et je n’aborde pas là le second conflit d’intérêts concernant M. WOERTH, lequel n’a pas manqué de cumuler les fonctions de ministre du budget avec celles de trésorier d’un parti politique.

Mme VIAL : pourtant le Président de la République a déclaré que M. WOERTH était un homme profondément honnête qui serait uniquement victime de calomnie. L’enquête de l’Inspection Générale des Finances n’a au demeurant rien décelé d’irrégulier.

Me BUFFLER : mais le conflit d’intérêts n’a que faire de l’honnêteté réelle ou supposée du ministre de Travail. A partir du moment où l’indépendance du ministre, ou de l’avocat, risque, et je dis bien « risque », de ne plus être entière, il doit refuser le poste ou le dossier.

L’intérêt du principe de la prohibition de tout conflit d’intérêts est qu’il n’y a pas à chercher à démontrer la culpabilité de la personne mise en cause. A partir du moment où le citoyen ou le justiciable est légitimement en droit de se poser des questions quant à l’indépendance de son ministre ou de son avocat, c’est qu’il y a conflit d’intérêts et seul le refus du poste ou du dossier peut y mettre fin.

Mme VIAL : à ce compte là, c’est la chasse aux sorcières comme au temps du maccarthysme. Il suffit d’être simplement suspecté pour être inquiété et contraint de démissionner.

Me BUFFLER : non, bien sûr. Le mot important est « légitimement ». Un ministre doit refuser un poste, ou en démissionner, si le citoyen peut légitimement s’interroger quant à son indépendance.

Dans le cas de l’affaire WOERTH, au vu des diverses révélations que nous subissons depuis plusieurs semaines, je crois sincèrement que le citoyen peut légitimement s’interroger quant à l’indépendance de son ex-ministre du budget.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage sur l’actualité juridique.

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