Archive dans mai 2010

L’interdiction du voile integral

Chronique mai 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, fin mars le Conseil d’Etat a rendu public son Étude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral. Le moins que l’on puisse dire est que le Conseil d’Etat est plus que réservé quant à la possibilité juridique d’une interdiction générale et absolue du port de la burqa ou du niqab en France. Cela vous étonne-t-il ?

Me BUFFLER : pas le moins du monde. Que l’on soutienne ou non la nécessité morale ou philosophique d’une telle interdiction, il n’en reste pas moins que la position du Conseil d’Etat n’est guère étonnante au regard de l’état de notre droit.

En effet, en droit public, les interdictions générales et absolues sont par nature suspectes et généralement jugées illégales. Ainsi les arrêtés anti-mendicité régulièrement pris par des maires afin d’interdire la mendicité dans leurs villes ne sont-ils validés par les juges administratifs qu’à la condition qu’ils soient limités dans le temps et l’espace.

Ainsi, une interdiction illimitée dans le temps et l’espace de porter un voile, fut-il intégral, me parait difficilement défendable juridiquement.

Surtout que l’on prétend faire le bonheur des femmes concernées malgré elles. Car il ne faut pas oublier que le voile intégral, s’il est parfois subi, et aussi souvent revendiqué par les femmes qui le portent.

Or, tant que l’on ne porte pas atteinte physiquement à autrui, chacun est libre de mener sa vie selon ses convictions et ses choix personnels, y compris en se mettant physiquement ou moralement en danger. Je vous rappelle l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », y compris porter un voile intégral en public.

Mme VIAL : il n’y aurait donc aucun moyen d’interdire le port de la burqa en France ?

Me BUFFLER : si, mais en respectant les règles classiques du droit public, à savoir que toute interdiction d’ordre général doit être limitée dans le temps et l’espace.

Ainsi, on peut parfaitement envisager une interdiction générale de toute tenue ou accessoire dissimulant le visage d’une personne lorsque l’ordre public est réellement menacé (manifestations, rencontres sportives, ..) ou lorsque l’on souhaite accéder à certains lieux (aéroports, gare, préfectures, banques, bijouteries, etc).

Mme VIAL : le Gouvernement semble toutefois s’orienter vers une interdiction générale et absolue du voile intégral, notre Premier Ministre ayant même déclaré être « prêt à prendre des risques juridiques ». Qu’en pensez-vous ?

Me BUFFLER : j’en pense que depuis la Révolution française notre République est fondée sur la séparation des pouvoirs : le Parlement est chargé de voter les lois, le Gouvernement est censé les faire appliquer et les juges censés en sanctionner la violation.

Or, avec ce débat sur le port du voile intégral, on aboutit à un Gouvernement qui déclare sans sourciller être disposé à prendre le risque de violer les lois dont il est pourtant censé être le protecteur.

Surtout, ce n’est pas le moindre de nos textes que le Gouvernement se déclare éventuellement prêt à violer puisqu’il s’agit tout de même de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen adoptée afin de mettre fin à l’arbitraire royal.

On marche sur la tête.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour une nouvelle jurichronique.

NB : l’étude du Conseil d’Etat est consultable à l’adresse : http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/104000146/0000.pdf

La force majeure

Chronique mai 2010

Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg

Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat

Mme VIAL : Me BUFFLER, suite à l’éruption d’un volcan islandais le mois dernier, une grande partie du trafic aéronautique du nord de l’Europe s’est trouvé paralysé et des centaines de milliers de voyageurs se sont trouvés bloqués, soit à l’aéroport, soit sur leurs lieux de villégiature.

Les tours opérateurs ont indiqué qu’ils n’étaient nullement tenus de prendre en charge les frais supplémentaires exposés par leurs clients du fait de cette paralysie, invoquant « la force majeure ».

Qu’est-ce que cette notion de « force majeure » ?

Me BUFFLER : pour comprendre la notion de force majeure, il faut en revenir aux fondamentaux de notre droit : quand vous prenez un engagement vis-à-vis de quelqu’un, que ce soit par écrit ou même simplement verbalement, vous êtes normalement tenu de le respecter jusqu’au bout.

Le seul moyen pour vous de vous défaire de votre engagement sans y laisser des plumes est d’obtenir l’accord de l’autre partie. Car ce qui a été fait par 2 personnes peut être défait par les mêmes personnes.

Problème : si l’autre partie refuse de vous libérer de votre engagement, vous êtes coincé, sauf à invoquer la force majeure.

La force majeure correspond à un événement exceptionnel auquel on ne peut faire face et qui vous libère de tout engagement sans que l’on puisse vous en vouloir et vous réclamer des dommages et intérêts.

Dans le cas du volcan islandais, les tours opérateurs invoquent donc cette éruption volcanique qui, selon eux, les a empêchés de remplir leurs obligations vis-à-vis de leurs clients sans que l’on puisse leur en vouloir et rechercher leur responsabilité.

Mme VIAL : leur position tient-elle juridiquement ?

Me BUFFLER : juridiquement pour qu’un événement soit considéré par les juges comme relevant de la force majeure, cet événement doit être imprévisible, irrésistible et extérieur. Si un seul de ces 3 éléments fait défaut, la force majeure ne peut être retenue.

Un événement est extérieur s’il est sans lien avec la personne mise en cause. Celle-ci ne doit être pour rien dans la survenance de l’événement lequel doit absolument résulter d’une cause étrangère et être indépendant de sa volonté. Dans le cas du volcan islandais, on aura du mal à affirmer que les tours opérateurs sont pour partie responsable de la

survenance de l’événement. La 1ère condition est donc remplie.

L’événement que l’on met en avant doit ensuite être irrésistible, c’est-à-dire insurmontable, inévitable. Dans le cas du volcan islandais, on voit mal comment les tours opérateurs auraient pu éviter l’éruption et la fermeture de l’espace aérien qui s’en est suivie.

Mme VIAL : reste la 3e condition…

Me BUFFLER : en effet, l’évènement doit enfin être imprévisible, c’est-à-dire que la personne mise en cause ne pouvait prendre les mesures appropriées pour éviter ou limiter le préjudice de l’autre partie. Dans le cas du volcan islandais, on voit mal quelles mesures préventives auraient pu être adoptées par les tours opérateurs afin de minimiser le préjudice de leurs clients, du moins lors de la première alerte.

Même si l’éruption du volcan islandais était annoncée quelques jours avant la paralysie du trafic aérien, jamais les tours opérateurs n’auraient pu imaginer les conséquences dramatiques qu’allait prendre cette éruption a priori banale en provenance d’un volcan insignifiant.

Les conditions de la force majeure me semblent donc réunies dans le cas du nuage de cendre qui a provoqué la fermeture d’une très grande partie de l’espace aérien européen. Les tours opérateurs sont donc déliés de leurs obligations et leurs clients ont bien peu de chance d’obtenir le remboursement des frais supplémentaires exposés alors qu’ils étaient bloqués à l’autre bout du monde, sauf geste commercial.

Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour une nouvelle jurichronique.