Les « peines planchers »
Chronique avril 2010
Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg
Entretien entre Mme VIAL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat
Mme VIAL : Me BUFFLER, le mois dernier à l’occasion du meurtre à Dammarie-les-lys d’un policier, N. SARKOZY a indiqué qu’il souhaitait que soit appliquée une peine plancher de 30 ans incompressibles pour tout meurtrier de policier. Pouvez-vous nous préciser exactement ce qu’est la « peine plancher » ?
Me BUFFLER : la « peine plancher » est la dernière innovation de notre gouvernement en matière pénale.
Depuis toujours, c’est-à-dire depuis aux moins 200 ans et la création de notre code pénal sous Napoléon, le code pénal fixe pour chaque type d’infraction une peine maximum.
Par exemple, en cas de vol simple, c’est-à-dire seul, sans destruction ou violence, l’article L 311-1 indique que la peine maximum que peut prononcer un tribunal est 3 ans de prison fermes.
De même, en cas d’homicide involontaire, la peine maximum que peut prononcer un tribunal est 10 ans de prison fermes.
Ainsi, à l’origine, le code pénal ne fixe que des maxima, à charge pour le juges de décider si les faits poursuivis méritent la peine maximum ou moins.
La grande nouveauté de 2007 est la création, non plus de maxima, mais de minima. C’est-à-dire que dans certains cas le juge n’a plus le choix, il doit appliquer une peine en dessous de laquelle il lui est interdit de descendre.
Mme VIAL : par exemple ?
Me BUFFLER : eh bien, en matière de trafic de stupéfiants par exemple : en cas de récidive, le trafiquant voit non seulement le maximum de la peine applicable augmentée du fait de la récidive (10 ans) mais se voit de plus appliquer une peine minimum de 4 ans.
Mme VIAL : dans l’absolu cela ne semble pas choquant. Si la peine plancher s’applique en matière de récidive, cela signifie que le trafiquant a déjà été condamné par le passé pour les mêmes faits et que malgré cette première condamnation il a repris son trafic. Tant pis pour lui, non ?
Me BUFFLER : le souci est que l’on raisonne toujours à partir du méchant trafiquant qui écoule des tonnes de drogue, ou du méchant pédophile ou du méchant agresseur.
Malheureusement, ou heureusement, la réalité pénale de tous les jours est bien plus complexe.
Un seul exemple, en matière de trafic de stupéfiants. Il y a 1 an j’ai été amené à défendre un toxicomane qui tous les ans se faisait arrêter par la police, et condamner, pour détention de 0,5g, 1g, grand maximum 1,5g de cocaïne. Compte tenu des quantités saisies, il s’agissait clairement de consommation personnelle. Jusqu’à l’an dernier, cette personne écopait à chaque fois de quelques mois de prison fermes pour détention de stupéfiants, ce qui en soit est déjà beaucoup sachant que cette
personne n’est qu’un danger pour elle-même.
Eh bien l’an dernier le Procureur de la République n’a pas hésité à solliciter l’application de la peine plancher, c’est-à-dire 4 ans de prison fermes, pour la simple détention de 1g de cocaïne !
Fort heureusement le tribunal n’a pas suivi le Procureur mais avec un juge plus réactionnaire c’était parfaitement possible.
Avec ce régime des peines planchers, on en vient donc à proposer, et parfois à prononcer, des peines totalement disproportionnées, absurdes.
Mme VIAL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour une nouvelle jurichronique.