La suppression du juge d’instruction
Chronique novembre 2009
Radio Judaica 102,9 FM Strasbourg
Entretien entre Mme WEIBEL, journaliste, et Me BUFFLER, avocat
Mme WEIBEL : Me BUFFLER, depuis plusieurs semaines l’actualité est marquée par le
rapport LEGER qui propose, entre autres, la suppression du juge d’instruction.
Quelle est la fonction d’un juge d’instruction ?
Me BUFFLER : le juge d’instruction est un juge un peu spécial. En effet, il ne juge pas
vraiment. En fait, il passe le plus clair de son temps dans son bureau à auditionner
témoins, suspects ou victimes et à diriger les services de police et de gendarmerie dans le cadre des enquêtes, le plus souvent criminelles, dont il a la charge.
Un exemple : M DUPONT est accusé d’avoir abusé d’enfants mineurs. Le procureur est
convaincu de sa culpabilité au vu de l’audition des victimes qui l’accusent. Cependant, M.
Dupont clame son innocence et prend un avocat.
Entre l’avocat de la défense et le procureur, le juge d’instruction va tenter de connaître la
vérité, ordonnant expertise, analyse psychologique ou reconstitution, entendant les
témoins, etc.
A l’issue de son enquête, il devra dire s’il estime que M Dupont est coupable et doit dès
lors répondre de ses crimes devant une cour d’assises ou, s’il est innocent, rendre une
ordonnance de non lieu qui l’absout. Le juge d’instruction ne juge ainsi qu’à la marge. Il
donne son sentiment, à charge pour le tribunal de le suivre ou pas.
Mme WEIBEL : nombre de magistrats, les juges d’instruction en premier lieu, ainsi que
d’avocats, sont vent debout contre cette suppression du juge d’instruction. Pourtant, au vu
des manquements du juge d’instruction, notamment dans le procès d’Outreau, cette
suppression ne semble a priori pas dénuée de fondement …
Me BUFFLER : tout d’abord, pour ce qui est d’Outreau, ce n’est pas le « trop » de juge
d’instruction qui a causé le fiasco judiciaire que l’on a connu mais plutôt le « pas assez »
de juge d’instruction, un jeune juge d’instruction s’étant manifestement retrouvé trop seul
face à un dossier qui atteignait une démesure tant au niveau médiatique qu’au niveau des
faits reprochés et des personnes impliquées.
D’ailleurs, suite au procès d’Outreau, la commission qui avait été réunie pour réfléchir au
procès, à ses manquements et aux réformes à entreprendre avait justement proposé de
mettre fin aux juges d’instruction esseulés en créant des pôles d’instruction où les juges
d’instruction seraient au minimum 2.
Cette réforme qui date de 2007 n’a même pas eu le temps d’entrée en vigueur que l’on
pense déjà à une nouvelle réforme qui propose exactement le contraire. On marche sur la
tête !
Surtout, en supprimant le juge d’instruction, on propose de transférer au procureur et aux
services de police, l’ensemble des pouvoirs d’enquête. Or, dans le fiasco d’Outreau, le
procureur ou les services de Police n’ont pas été plus vertueux que le juge d’instruction. Ils
l’ont même incité à poursuivre dans une voie sans issue.
Ainsi, s’il est certain que le juge d’instruction n’est pas sans défauts, il est tout aussi
certain que le salut ne viendra pas du procureur ou de la police.
Mme WEIBEL : mais pour en revenir à la suppression du juge d’instruction, celui-ci
n’existe plus en Italie et n’a jamais existé en GB ou aux Etats-Unis. Pour autant, leurs
systèmes judiciaires n’ont pas l’air de fonctionner plus mal que le notre. Où est le
problème ?
Me BUFFLER : en fait, le souci de la réforme proposée en France est que, contrairement
à l’Italie ou aux pays anglo-saxon où les organes de poursuite sont totalement
indépendants du pouvoir, en France on ne propose pas de mettre fin au rapport
hiérarchique qui existe entre les procureurs et le ministre de la Justice. Or, quand on voit à
quel point certains procureurs ont le petit doigt sur la couture du pantalon de leur ministre
de tutelle et à quel point leur avancement dépend de leur plus ou moins grande servilité,
on peut nourrir les craintes les plus sérieuses.
On voit mal en effet des affaires politico-judiciaires sortir si les procureurs sont aux ordres
de leur ministre. A l’heure actuelle, si de telles affaires ont pu émerger, c’est bien grâce à
des juges d’instruction obstinés et indépendants qui sont allés contre les avis de procureurs serviles qui estimaient qu’il n’y avait rien a creuser.
De même, si les procureurs restent aux ordres de leur ministre on peut craindre que ceux-ci
entament des procédures uniquement pour nuire au camp politique d’en face qui n’a
pas la chance d’être au pouvoir, de diriger et d’instrumentaliser la machine judiciaire.
On peut nourrir les mêmes craintes en ce qui concerne les infractions en matière de droit
des affaires (délits d’initié, abus de biens sociaux et autres détournements). En effet,
quand on voit la proximité de certains grands chefs d’entreprise avec nos politiques, on
peut raisonnablement craindre une volonté d’étouffer certaines affaires.
Cela dit, pour le justiciable lambda, cette réforme ne va pas changer grand chose. En
effet, quand on voit dans certaines procédures le juge d’instruction se contenter de faire
un « copier-coller » des réquisitions du procureur ; quand on voit dans certaines
procédures le juge d’instruction se limiter à instruire a charge ; on peut raisonnablement
souhaiter la suppression du juge d’instruction. Cela mettra fin à une hypocrisie sans nom.
Toutefois, c’est comme pour la nomination du président de FRANCE TELEVISION.
Précédemment sa nomination était sujette a caution, l’indépendance du CSA quant au
choix de l’élu étant toute relative. Cependant, plutôt que de tenter d’améliorer le système
afin d’assurer une réelle indépendance, on prétexte une hypocrisie, réelle, pour jeter le
bébé avec l’eau du bain et instaurer l’arbitraire le plus complet. Avec la suppression du
juge d’instruction on est exactement dans cette logique : le juge d’instruction n’est pas
sans défaut et plutôt que de tenter d’améliorer les choses, on le supprime pour le
remplacer par un système pire que le précédent.
Mme WEIBEL : merci Me BUFFLER et à la semaine prochaine pour un nouvel éclairage
sur l’actualité juridique.